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Ronan Moinet, l’homme perché

Les Nuits des Forêts 2024

Ancien ingénieur en agronomie, Ronan Moinet a également expérimenté la recherche et le journalisme. Jusqu’au jour où son besoin de fusionner ses connaissances scientifiques et sa pratique artistique est devenu le trait d’union de sa vie.

Aussi bien auteur-interprète du célèbre duo d’explorateurs sonores LABOTANIQUE qu’écrivain et dramaturge pour des séries de balades sonores, Ronan Moinet connait un véritable tournant en 2022 qui donnera naissance au Projet perché : perspectivisme végétal.

Rencontre avec un homme perché (mais jamais sans son cadre scientifique).

Peux-tu nous dire en dire plus sur ce déclic que tu as connu en 2022 ? Comment celui-ci a impacté ta manière d’apprivoiser la recherche scientifique et sa méthodologie ? 

Début 2022, j’étais obsédé par une question : ‘qu’est ce que la condition végétale ?’. Une sorte de mantra que je me répétais chaque matin. Alors pourquoi cette question est apparue à ce moment là, je ne sais trop le dire… En tout cas, je vois nos vies comme une accumulation de moments, des couches géologiques qui viennent se déposer les unes sur les autres, et qui sédimentent dans notre bassin. Et parfois, le mélange de ces différentes strates vient faire émerger un geste, une question, une pensée. Je peux donc parler de la couche de surface, c’est la plus facile à observer. Fin 2021 je me suis plongé dans les travaux de Philippe Descola et dans ceux de Abraham Poincheval. L’anthropologie d’un côté, la performance artistique de l’autre. Je me suis alors dit que pour trouver des réponses à la question ‘Qu’est ce que la condition végétale’, il fallait mobiliser non seulement ce que j’avais découvert sur le rapport que les sociétés entretiennent avec le monde vivant, et plus particulièrement l’ontologie perspectiviste, mais aussi l’engagement corporel. Tenter de transformer mes perceptions en me mettant dans la posture d’un autre être vivant.

Et à tout ça est venu se mélanger mon background d’agronome, particulièrement les protocoles de recherche scientifique et leur méthodologie. Je suis donc parti du formalisme d’un protocole scientifique, pour le détourner et construire ‘le protocole de recherche artistique’. Un cadre objectif d’expérimentation, me permettant de faire advenir une subjectivité, à savoir, qu’est ce qu’être une plante ?

Pourquoi as-tu choisi de vivre cette expérience perchée dans un arbre ? Quel lien entretiens-tu désormais avec la canopée ? 

A ce moment là, je suis donc dans l’écriture de mon protocole artistique, et je me questionne sur le meilleur moyen de me mettre dans la posture d’un végétal. Mon choix se porte sur l’arbre, car de par ses dimensions, cette plante me permet d’habiter en son sein, de vivre à ses côtés, d’être en altitude pour m’extraire du monde humain, et donc de m’offrir le maximum de chances de comprendre comment il perçoit le monde. Ça c’est la théorie, à côté de ça il y a mon amour pour les arbres, tout simplement. Le simple fait de parler de cela, me reviennent en mémoire tout un tas d’arbres que j’ai côtoyé depuis ma naissance. La fascination de les avoir grimpés. Le sens du toucher à une grande place dans cette histoire.

 

Et concernant le lien que j’entretiens avec la canopée ? C’est une bonne question… Je dirais que c’est la manière de l’observer. Je ne vois plus simplement, des lignes, des branches, des feuilles. Mais j’observe également l’air qui y est suspendu. Toutes ses bulles d’air formées par les branches, j’ai le sentiment qu’elles font partie intégrante de l’arbre. C’est une sorte de regard en négatif. Et j’ai le désir de grimper et d’habiter ces bulles d’air, de m’y lover, lorsque je suis en forêt, c’est un sentiment presque charnel.

Lorsque je suis en forêt, c’est un sentiment presque charnel. 

Que pourront écouter les auditeurs dans ton futur podcast Perché

Perché est un podcast sériel en 7 épisodes, comme les 7 jours de cette aventure. J’embarquerai l’auditeur dans un récit chronologique à la première personne. Je souhaite que les auditeurs sortent de cette écoute en ayant l’impression d’avoir vécu cette aventure, d’être restés perchés pendant 7 jours, à 25 mètres de haut. Et sans trop en divulguer, le récit suit ma transformation, ma découverte des habitants des lieux d’abord (les insectes, les oiseaux, les mousses, les lichens) puis le lent processus me faisant abandonner le mouvement pour devenir végétal, jusqu’à vivre un état de conscience modifiée. Un orage gigantesque vient également se loger là-dedans, mais je ne vais pas tout révéler. Si l’on peut résumer cela, c’est l’expérience qui se transforme en aventure.

Dernière précision, ce podcast est construit à partir de ce que j’ai récolté là-haut, à savoir un carnet de bord sonore que j’ai tenu durant l’aventure, et un carnet de bord papier, je l’ai interprété a posteriori en studio. La série se base sur les allers-retours entre ces deux types de carnets.

Quelles sont les grandes conclusions que tu tires de l’expérience ? Quels sont tes prochains projets ?

L’une des plus grande conclusion m’est venue au milieu de l’aventure. En préparant cette expérience, ma première projection fut de m’imaginer seul, coupé du monde, sans téléphone, sans connexion, sans personne, juste avec l’arbre. Et finalement ce terme ‘seul’ me semble d’une telle violence aujourd’hui. J’ai réalisé que tout existe sans l’être humain. Derrière le mot solitude se cachait simplement ma volonté de m’écarter de ma propre espèce, de sortir de mon quotidien… et, soudain, perché là-haut, tant d’autres êtres vivants ont refait surface. Je n’ai jamais été aussi nombreux !

 

Quand à mes prochains projets, je continue à explorer des postures d’écritures, des engagements corporels pour entrer en contact avec d’autres entités présentes sur notre planète. Je souhaite explorer l’umwelt* d’autre espèces, et même des non-vivants. Je m’intéresse particulièrement aux roches en ce moment… je suis en train de définir une nouvelle expérience-performative qui se tiendra en montagne, mais il est encore trop tôt pour en parler ! A suivre donc…

*l’environnement sensoriel propre à une espèce ou à un individu

Qui sont les scientifiques, écologues, philosophes, forestiers, artistiques etc. qui t’ont accompagné dans ta réflexion ? 

En vrac et dans le désordre, je dirais Abraham Poincheval et Philippe Descola bien sûr, Eduardo Kohn et son livre ‘Comment pensent les forêts’, Vinciane Despret et son ‘Autobiographie d’un poulpe’ et l’artiste plasticien Pierre Huygue.

Ton conseil culture ? 

New Blue Sun, de André 3000. C’est un album qui m’accompagne dans le quotidien depuis quelques semaines, et que j’ai écouté durant l’écriture de ce podcast. Il s’en dégage une telle magie !