À la découverte du Sentier des Résiniers avec le designer-sculpteur Cédric Breisacher
À l’occasion de la 5ème édition du festival, le designer-sculpteur Cédric Breisacher a organisé un workshop au Sentier des Résiniers de Cugnes, connu pour son activité de gemmage. Les participants ont eu l’occasion d’aller visiter la forêt primaire de Biscarrosse avec l’association du Sentier des Résiniers, ainsi que de concevoir un matériau à base de colophane et de résidut forestier aux côtés de l’entreprise BIOGEMME.
Cédric Breisacher nous parle de ce workshop et retrace les différentes étapes vécues lors de cet événement.
Parlez-nous de cet atelier ? Avec quelle méthode et quel objectif l’avez-vous imaginé ?
La méthode de recherche appliquée s’intéresse à investiguer un milieu pour créer une matière géo-localisée. Ici, le point de départ est la forêt de Biscarrosse. Les grandes étendues de pin maritime, les dunes et les lacs ont forgé ce territoire, situé à l’ouverture des Landes et à la frontière avec la Gironde. La commune de Biscarrosse voit renaître depuis quelques années l’activité du gemmage. Activité qui consiste à récolter la résine de pin pour en extraire différents produits comme la colophane et la térébenthine. Après une introduction nous permettant de comprendre le milieu forestier des Landes et l’activité du gemmage, l’atelier de recherche et création a pris place dans l’entrepôt du programme Biogemme. Le but de cet atelier est de travailler avec la résine végétale (la colophane) afin d’en augmenter les propriétés physiques nous permettant d’entrevoir un usage dans la fabrication d’objets. Une recherche interactive, pratique et par le Faire s’est mise en place. Nous avons essayé, testé, cassé, recommencé pour arriver à la fabrication de deux stèles dont la matérialité reflète le paysage de Biscarrosse.
L’entièreté du workshop s’est déroulée sur une semaine : 2j d’analyse de terrain + 3j de recherche et création +1 j d’exposition.
Comment vous êtes-vous organisé en termes de calendrier pour réussir à mener à bien cet atelier de recherche et de création ?
Connue pour ses forêts de pins, c’est au cœur de la forêt des Landes que se cache une histoire : celle du gemmage. Cette méthode ancestrale d’extraction de la résine de pin a connu une formidable évolution technique. De cet « or blanc », y sont extraits deux produits : l’essence de térébenthine et la colophane, ambre translucide utilisé communément sur l’arche d’un violon pour en faire vibrer les cordes. L’atelier de recherche et création, organisé pendant le festival Nuits des Forêts, s’intéresse aux propriétés mécanique et physique de ce liant/résine végétale : la colophane.
Cette matière est considérée comme un rebut, mais elle possède de multiples qualités plastiques encore aujourd’hui inexploitées. Soucieux de travailler avec des matériaux locaux et inscrits dans l’histoire d’un paysage, le but de cet Atelier de recherche est de faire avancer une réflexion autour de l’utilisation des rebuts dans un nouveau cycle de fabrication et de réfléchir aux usages possibles de la colophane.
Puisant dans l’imaginaire de la forêt des Landes, des objets stèles ont été fabriqué à partir de ces diverses recherches matériaux et ont été présenté pendant le festival Nuits des Forêts, le samedi 15 juin 2024.
Quelle est la spécificité de la forêt des Landes ?
Présent depuis 16 000 ans sur les dunes landaises, le pin maritime est une essence endémique caractéristique du département des Landes. La forêt de Biscarrosse est située au sud-ouest de la France et occupe près de 13 000 hectares de massifs forestiers. Implanté sur des terrains sableux assez pauvres, l’espace forestier se divise en deux.
La première : la forêt usagère se situe sur les dunes en front de mer, elle a pour fonction de casser les vents forts venant de l’océan. Ici, nous pouvons trouver des pins âgés de plus de 160 ans, c’est une forêt ancestrale qui est apparue à la suite de l’ère glacière. À cette période, la région était recouverte par un glacier. Avec la fonte des glaces, l’eau et le sable le terrain est devenue propice à l’apparition du pin maritime.
La seconde forêt, située en aval et protégée par la première, est une forêt dite de « production ». Ce sont principalement des exploitations forestières pour le bois d’œuvre et la récolte de la résine de pin. Le sol de la région est sableux et acide. Nous pouvons y trouver des gisements de fer présents dans la pierre de garluche. La forêt dunaire est une ressource riche en diversité, nous pouvons y observer trois étages : un sous-bois constitué de fougères, une strate arbustive avec notamment la présence du chêne vert et de l’arbousier et un dernier étage arborescent et protecteur constitué de pins maritimes hauts de plus de 40m.
C’est dans ce contexte verdoyant et odorant que le workshop démarre et prend sa source.
Vous parlez souvent de gemmage, pouvez-vous nous en dire plus sur cette technique ?
Le gemmage est une pratique qui vise à récolter l’oléorésine sur un pin vivant (en France principalement le pin maritime). L’oléorésine mêlée d’eau provenant principalement des pluies et d’impuretés solides, prend alors le nom de « gemme ». La gemme, après clarification, porte le nom de térébenthine.
Le procédé de gemmage s’étend à toute la Gascogne landaise, se modernise et s’industrialise. On exploite désormais des milliers d’hectares de pins pour extraire « l’or blanc » des Landes de Gascogne, servant à produire de l’essence de térébenthine et de la colophane. Le pin bouteille est un arbre descendant de la pratique de la care. C’est un pin maritime qui a été résiné toute sa vie et dont les cicatrices se sont refermées. Cela lui donne une forme caractéristique de bouchon de bouteille.
Où est-ce-que votre atelier s’est déroulé ?
Le workshop de l’Atelier de recherche et création prend place au cœur de leur entrepôt pour une durée de trois jours.
Soucieuse de proposer une huile essentielle de térébenthine de qualité, la société Holliste a conduit un programme de recherches scientifiques et techniques sur le gemmage. En lien avec des laboratoires et universités, des essais et observations minutieuses sur le terrain ont été réalisés pour aboutir en 2018 à une méthode de récolte de la résine à la fois respectueuse du gemmeur, de l’arbre et de l’environnement.
In fine, avez-vous réussi à atteindre les objectifs de votre atelier ? Comment les participants ont pris part à celui-ci ?
Après une étude approfondie du milieu et de sa topologie, la phase expérimentale commence. La méthode de recherche appliquée est celle du Faire : c’est par l’expérimentation, l’erreur et l’intuition que nous avons guidé cette recherche manuelle. La colophane a été soumise à des tests, en mélangeant divers matériaux collectés au préalable. Une phase d’échantillonnage a été mise en place pour appréhender les réactions entre les différentes charges ainsi qu’à son comportement à la compression.
L’objectif proposé pour tester les propriétés du matériau, était de fabriquer un élément auto-porté permettant de soutenir un objet. Une stèle qui raconte par sa matérialité son lieu de production.
Des stèles ont pu être réalisé ; elles représentent un empilement de couche de rebuts forestiers collectés dans la forêt de Biscarrosse. Objet singulier, il évoque l’essence même de la région, comme si elle était extraite directement du sol à l’image d’une carotte géologique. Chaque élément la constituant fait partie du sol du territoire landais, lui apportant cette dimension d’emblème, voir totémique par sa forme cylindrique rappelant l’image de la colonne architecturale.
Comment s’est clôturé cet atelier ?
L’exposition était la dernière étape de la méthodologie de création de géo(bio)-matière. La mise en espace des différents savoirs acquis pendant cette semaine est essentielle pour le partage des connaissances et la mise en lumière d’un patrimoine.
Nous avons été accueillis par la mairie de Biscarrosse dans un espace municipal d’exposition, la galerie de l’Orme. À l’occasion du Festival Nuits des Forêts, notre recherche a été présenté au public local pendant une journée. L’ensemble de la méthodologie y a été exposé, permettant ainsi de tracer un fil conducteur entre l’histoire des techniques et le patrimoine géologique, en passant par la recherche de nouvelles matières, illustrée par une table d’échantillons que le public pouvait toucher et appréhender. Enfin, les deux objets stèles, véritables figures centrales de l’atelier de recherche et de création, permettaient de se projeter dans le développement de cette matière à l’échelle de l’objet, mais aussi de l’architecture.
Cette journée a mis en évidence la richesse théorique et pratique d’une méthodologie de design par le Faire afin de répondre aux problématiques environnementales et de valorisation du patrimoine par l’innovation matérielle. Les échantillons et objets stèles montrent des perspectives d’applications à de nouveaux espaces et nourrissent nos imaginaires référentiels.