Marine Pavageau – L’odeur du Maquis

Le récit d’une itinérance en solo à travers les forêts corses

Marine Pavageau, architecte et lauréate professionnelle du concours Cartographier la forêt et coup de cœur de l’IGN, vous emmène dans ses pinceaux sur 180 km de sentiers, sur les crêtes montagneuses, de refuge en refuge, de la mer Méditerranée aux forêts de pins laricio et de châtaigniers. Le récit d’une itinérance en solo qui met un coup de projecteur sur la richesse des forêts corses.

La forêt Corse : entre mer et montagne

La Corse est reconnue pour sa culture et ses plages, mais aussi pour son maquis épais, caractéristique de l’histoire de l’île. Forêt entre mer et montagne, elle couvre près de 58 % du territoire et offre une diversité de paysages à la hauteur de la richesse de l’écosystème qu’elle abrite.

En basse altitude, on trouve principalement le chêne vert. Mais la Corse est aussi peuplée d’espèces endémiques comme le chêne-liège, ou encore le pin laricio dans les hauteurs. De grandes châtaigneraies recouvrent également le territoire et ont participé à l’alimentation et à l’économie insulaire pendant des siècles.

Marcher dans ces forêts, c’est entrer dans un monde à part : celui du silence et des odeurs, du craquement sec des branches, de la lumière filtrée par les houppiers.

Retour sur une aventure en solo

Se préparer avec le grand départ 

Cela faisait longtemps que Marine rêvait du GR20. Après trois années passées en Corse, le moment est venu. Besoin de recul, envie de silence. Elle s’y prépare. Physiquement d’abord : randonnée, escalade, course, trail. Mentalement aussi : La peur, elle la connaît. Reste à apprivoiser ses émotions, se faire confiance et y aller malgré l’inconnu.
L’étape du sac est primordiale. Ce compagnon silencieux, qui pèsera chaque jour sur les épaules et qu’il faut penser dans les moindres détails. Chaque gramme compte, chaque objet a son importance.
La veille du grand départ, on se demande dans quoi on s’embarque, si elle n’a pas sous-estimé les montagnes corses. Mais il est trop tard pour reculer, elle se lance dans l’aventure.

Des paysages à couper le souffle et des souvenirs inoubliables

Un moment où tu t’es senti bien ?

Un matin au lever du soleil sur les crêtes. J’avais beaucoup de route ce jour-là et j’étais partie très tôt à la frontale. Le soleil s’est levé tranquillement. J’avais un spectacle incroyable devant les yeux, les ombres et la lumière, la mer et les montagnes, des oiseaux qui planaient, et le silence ! Un très beau moment.

Quels sont les paysages forestiers corses qui t’ont marqués ?

Je me souviens de passages en particulier : la forêt de Bavella, magnifique avec ses pins et sa roche rouge. Il y avait aussi la forêt de Vizzavona, avec ses arbres immenses et sa fraîcheur qui nous protégeait du soleil qui tapait fort. Je me souviens aussi des paysages de Balagne, avec les oliviers et les villages typiques au loin. Et puis quand on arrive sur le plateau du Cuscione, cette grande plaine humide avec les pozzis, on a plus l’impression d’être en Corse, c’est assez fou la diversité de ces paysages. 

Quelle est la relation aux arbres et aux espaces dans une telle aventure ?

Chaque jour j’avais l’impression de traverser des paysages différents. Avec tout ce que ça comporte, la couleur de la roche, les fleurs, le maquis, les animaux… C’est fou la diversité des arbres qu’on voit passer sur le chemin. Des oliviers, des pins parasols, des châtaigniers, des pins laricio, des chênes verts, … Ce qui m’impressionnait toujours c’était ceux qui poussaient sur la roche, là où ça semble impossible. La nature trouve toujours un moyen de s’adapter. J’ai eu pas mal de temps pour observer, je me disais que c’était fou l’intelligence de la nature, qu’on a tout à en apprendre. 

Comment le corps et l’esprit réagissent à une telle marche ?

Forcément il y a des moments où on se demande pourquoi on s’est embarqué là dedans, j’ai eu envie de balancer mon sac à dos plus d’une fois … Ça reste une épreuve pour le corps et pour le mental, et puis il faut tenir sur la durée. Alors parfois on en a marre, on fait une pause, on attend un peu, puis on se relève et on continue. C’est ça le GR !

Je crois qu’on devrait tous faire cette expérience de partir marcher plusieurs jours, peu importe si c’est en Corse ou ailleurs, et peu importe si c’est 2 jours ou 3 semaines, ça remet les pieds sur terre et le cœur au centre, et ça régénère. Il faut se concentrer sur chaque pas, alors on débranche un peu son cerveau, et on se reconnecte à nos sens. On observe ce qui nous entoure et on y devient peut être plus sensible aussi.

Est ce qu’on sent ses sens se développer ? 

J’ai l’impression que c’est un des bienfaits de la marche. On pense moins, on ressent plus. Enfin c’est un bon exercice de concentration, sur quoi on place notre attention. Plus facile à dire qu’à faire ! C’est tout l’intérêt de partir plusieurs, le temps de laisser au corps et au cerveau le temps de retrouver son équilibre et de prendre de nouvelles habitudes.

Est ce que dans cette longue itinérance en solo, tu as eu des moments de doutes, de peur, de solitude…?

Oui j’ai eu peur un jour de mauvais temps, entre le refuge de Manganu et celui de Petra Piana. Il y avait encore de la neige sur cette étape au mois de Juin, et il fallait sans arrêt enlever et remettre les crampons, tout ça dans le froid et le vent qui soufflait fort. J’avoue avoir été contente d’arriver au refuge et d’y trouver un peu de chaleur humaine !

Tu es partie seule, mais as-tu des bons souvenirs avec d’autres randonneurs ?

On rencontre beaucoup de gens sur le GR, de tous les horizons, avec des histoires et des états d’esprits différents. Il y avait des grands sportifs qui faisaient le GR en 4 jours, des papas avec leur fils ou leur fille, des couples, des groupes d’amis, des bretons, des lillois, des jeunes, des moins jeunes … Il y a aussi ceux qui partent du Nord vers le Sud, et ceux qui font l’inverse. Et puis il y a ceux qu’on retrouve chaque soir au refuge, avec qui je suis restée  en contact. On fait de belles rencontres sur le GR !

La forêt corse face aux défis du dérèglement climatique

Après avoir traversé les paysages ou la nature semble si fière, on oublie parfois la fragilité de ces espaces. Pourtant les hauteurs Corses sont déjà fortement impactées par le dérèglement climatique et les effets risques de s’aggraver. 

Depuis les années 1970, les températures ne cessent d’augmenter en Corse, en particulier au-dessus de 500 mètres d’altitude, avec une hausse de plus de 2 °C déjà enregistrée. Et la tendance ne s’inverse pas : le nombre de journées chaudes par an devrait exploser d’ici la fin du siècle.

C’est tout le cycle de l’eau qui s’en trouve bouleversé. La neige, moins fréquente, est remplacée par la pluie. Les précipitations deviennent plus rares, plus intenses, et surtout mal réparties dans l’année. Résultat : les sols n’ont plus le temps d’absorber l’eau, ce qui provoque des ruissellements violents, des crues soudaines… sans pour autant recharger efficacement les nappes phréatiques.

Depuis 1980, le débit des cours d’eau a déjà chuté de 20 à 30 %, et les randonneurs constatent eux-mêmes la raréfaction des points d’eau.
La sécheresse, combinée aux vagues de chaleur, accroît considérablement le risque d’incendie — un risque qui pourrait augmenter de 10 à 30 % d’ici la fin du siècle selon les estimations du Cerema.

C’est toute la biodiversité insulaire qui vacille. Le pin Laricio, arbre emblématique de la Corse, est fortement menacé : les feux de forêt s’enchaînent plus vite qu’il ne peut se régénérer naturellement. D’autres espèces, comme les genévriers thurifères, sont mises en péril par la concurrence de plantes invasives. Fragilisés par le stress hydrique, les arbres deviennent plus vulnérables aux maladies. Les oliviers sauvages, par exemple, sont désormais touchés par la bactérie Xylella fastidiosa.

Face à ces bouleversements, un changement global est nécessaire. Mais sur les sentiers, chacun peut déjà agir : ne pas fumer, ne pas allumer de feu, ne laisser aucune trace de son passage, rester sur les sentiers balisés, tenir son chien en laisse pendant la période de reproduction, et marcher en silence pour ne pas déranger les espèces animales… Les sentiers du GR20 nous accueillent à condition de respecter tous les êtres vivants qui n’y vivent pas seulement une expérience inoubliable, mais leur quotidien dans ce milieu qui se fragilise de jour en jour.